rapport Clarke

 

  Témoignage  de LR CLARKE, radio-mitrailleur du FAIREY BATTLE L 5188

                                                      Pilote :         SGT H.R.W.  WINKLER

      Observateur :  SGT  MAURICE BISH SMALLEY   

                       

L’opération du 14 Mai 1940 est prévue pour arrêter la percée allemande en détruisant les ponts de bateaux sur le fleuve. L’attaque doit être conduite en approchant à 6000 pieds (1800m), en bombardant la cible en piqué, avec 4 bombes équipées de détonateurs instantanés, larguées à 2000 pieds (600m), puis  retour à la base à basse altitude si les conditions le permettent.

                     Fairy battle

                         La participation du groupe à cette opération est de cinq avions, trois de l’escadrille A et deux de l’escadrille B.

                                                                           L’OPERATION

 La cible de l’escadrille A est un pont de bateaux à Donchery, à l’ouest de Sedan, et celle de l’escadrille B, un pont au sud de la ville. 

A 15h30, l’escadrille B décolle, suivie de près par la A, chacune volant selon son propre cap vers la cible à quelques 50 miles (80 km) de là.

 Avant d’atteindre Sedan, l’escadrille B est interceptée par des BF 109. Les deux avions sont rapidement descendus, un membre de chaque équipage survivant. Le sergent observateur a sauté de son avion en feu sans son parachute, inaccessible dans son rangement dans les flammes. Après avoir été capturé, le radio Fred Spencer a eu la macabre tâche d’identifier le corps.

Nous, escadrille A (L4950 leader, L5538 N°2 et L5188 N°3),  grimpons à 6000 pieds (1800m). En dessous de nous, trains bombardés, bâtiments en feu et  convois routiers arrêtés rencontrant des flots de réfugiés montrent l’efficacité des opérations de la Luftwaffe.
(Notre propre terrain – un ancien champ de  blé, avait par chance évité l’attaque directe, l’attention de la Luftwaffe s’étant  concentrée sur un petit terrain français, la Malmaison, juste de l’autre côté de la route, équipé de vieux biplans légers. Quand l’avion vole directement au-dessus, nous pouvons voir les bombes larguées, la fumée, et l’éclatement de  bombes.)

 

  En approchant de Sedan, nous rencontrons un tir concentré de FLAK. ......( total des tubes de DCA- FLAK autour de Sedan : 330 tubes du 37mm au 88mm!)

 Le L5538, touché après avoir jeté ses bombes, descend en trainant de la fumée. (Il réussit à  retourner à sa base à Amifontaine, mais le pilote est tué 5 jours plus tard, le 19 mai 40).

 

Notre L5188 commence à subir des dommages : plusieurs trous apparaissant sur l’extrados des ailes bien que, par chance, les réservoirs ne semblent pas touchés. Un obus passe à travers l’aile droite, entre les bombes et le logement des fusées éclairantes, et explose au-dessus. En atteignant la cible, nous suivons le leader en piqué, Reg maintenant le nez très fort vers le bas, à tel point que je lui demande par l’intercom si tout va bien. Reg répond par l’affirmative. Les maisons brûlent déjà sur un côté du fleuve près du vieux pont.

 A environ 2000 pieds, alors que nous sommes à nouveau dans une concentration de FLAK, le leader L4550 reçoit un coup direct, des pièces de l’avion tombent lors de son piqué. Seul le radio survit.

Aussitôt après nous recevons un coup direct dans le moteur, un bruit sourd  traverse l’avion.   De la fumée, de l’huile et du glycol se déversent en arrière, et les flammes remontent dans l’habitacle de Reg. Avec un moteur défaillant et en feu,  l’avion, bien que toujours contrôlable, perd rapidement de la hauteur. Je demande à Reg s’il peut le ramener au sol, mais immédiatement il donne l’ordre de sauter. Pendant ce temps, il doit rester dans le cockpit. 
Je sors le premier. Bish me donne une dernière poussée sur le côté ;je découvre cette sensation unique de tomber dans un trou sans fond, avant d’être tiré d’un  seul coup pour un vol silencieux.

 Je vois alors la trainée de fumée laissée par notre avion et, au loin,  deux parachutes près du sol. Juste après, je plonge presque dans le canal menant à la Meuse : j’atterris sur le chemin de halage, tout mon poids sur ma jambe droite, ma jambe gauche s’enfonçant dans le sol mou.

 Alors que je me ressaisis, une douzaine de BF 109 volent juste au-dessus de moi. Il est environ 16 heures.

 

                                                              PRISONNIER

Rapidement, un side-car allemand arrive et, me sentant ridicule, je lève les mains  vers les deux Allemands armés de pistolets mitrailleurs. Ils me fouillent et sont surpris que je n’aie pas de pistolet. La situation me semble  irréelle : je me sens comme détaché de la scène, tel un spectateur regardant une pièce de théâtre : je n’arrive pas à croire que je suis impliqué. Je suis mis dans le side–car et conduit à environ un demi-mile dans un café rempli de soldats allemands. Tout le long de la route, des chars sont abrités sous les arbres.

  Je suis  le premier aviateur britannique que les Allemands  rencontrent,  et naturellement ils me regardent avec curiosité. Leur attitude est pour la plupart amicale, et contrairement à mes prévisions, plutôt sympathique : une coupure au bas du visage est pansée,  et on me donne cigarettes, fruits et café. Ceux qui parlent anglais se présentent avec cette phrase familière de ces derniers jours « pour vous, la guerre est finie ». Beaucoup s’esclaffent en disant que je ne serai pas prisonnier longtemps car la guerre sera bientôt finie ; ils ont presque raison.
Pendant ce temps, un Hurricane vole au-dessus, et les Allemands jouent de la gâchette avec leurs fusils. Le pilote, imprudemment, fait, à basse altitude, des acrobaties que les Allemands acclament, puis s’en va.
Aussitôt après,  un Fairey Battle du 218e squadron, (qui a perdu 10 des 11 avions en l’air cet après-midi-là) passe à basse altitude à pleine vitesse, de la fumée s’échappant de ses pots d’échappement. L’avion montre des signes de dégradation,  et le poste arrière semble vide. Les chars et autres canons ouvrent le feu, et l’avion entouré d’explosions disparaît derrière une crête. Quelques secondes plus tard, s’élève une colonne de fumée, suivie par le bruit  d’une explosion. Les Allemands haussent les épaules en  s’exclamant « c’est la guerre ».
 Finalement, mes effets personnels, montre, cigarettes, briquet, casque de vol, lunettes et anneau de parachute me sont  rendus, et un sous-officier de 21 ans se présentant lui-même comme mon escorte, me dit avoir reçu des ordres pour me tirer dessus si j’essayais de m’échapper.
Ma jambe droite à ce moment me fait mal. Nous partons sur la route, les  soldats m’ayant dit « good bye » et souhaité bonne chance.

Nous marchons pendant environ trente minutes, l’exercice augmentant la douleur de ma jambe, jusqu’à un petit village. Au bout de la rue nous voyons un soldat français mourant, une cigarette à la bouche. Il était servant d’une pièce anti-char qui avait reçu un coup direct. Un autre soldat français le tenait en position assise,  tandis qu’un infirmier allemand prend soin de ses terribles  blessures. L’infanterie allemande traverse la route principale; du bétail et un cheval harnaché vont et viennent sans but dans la rue.

Nous sommes au milieu du village lorsque des obus commencent à tomber, les explosions étant suivies par le sifflement caractéristique de la trajectoire des éclats.  Les soldats plongent dans les fossés du bord de la route,  et mon escorte suggère de nous abriter dans l’entrée   d’une porte.  La maison d’en face reçoit un coup direct, et un éclat d’obus se fiche dans une de mes bottes de vol. Je l’enlève, c’est très chaud, et le mets dans une poche de mon blouson. Mon escorte décide qu’il serait plus sûr de rejoindre les autres dans les fossés, ce que nous faisons.

  Je descends et m’allonge à côté d’un soldat allemand, qui, se tournant vers moi, dit dans un anglais parfait : « Avez-vous un casque ? » - «  non ». Il répond : « mettez-vous sous moi » ; ce que je fais,   le soldat me protégeant. Le bombardement cesse environ cinq minutes plus tard et les soldats sortent des fossés. Je me lève en remerciant l’Allemand. Il dit que ce n’était rien, que j’étais chanceux, que je survivrais à la guerre, mais pour lui et ses camarades, personne ne savait ce que serait l’avenir. Il me souhaite bonne chance, et de retourner sain et sauf à la maison.
Et nous partons. Je me suis souvent interrogé au sujet de cet Allemand : qui était-il ? Quelle était sa motivation ? A-t-il survécu ?

 Après quelque temps nous arrivons à un PC, et mon escorte, après m’avoir souhaité du bien, me remet à quelques officiers qui m’invitent à monter dans un véhicule de commandement. C’est le crépuscule. Nous   roulons environ une demi-heure, notre route entravée par un flot continu de véhicules essayant d’avancer dans le sens inverse. Nous arrivons à proximité de la Meuse, dans une grande maison qui semble une sorte de quartier général. Je suis poussé dans un véhicule blindé  où un officier supérieur étudie des cartes sur une table tandis qu’un opérateur radio travaille dans un coin. L’officier, qui parle un anglais parfait,  s’inquiète de ma blessure à la tête, me félicite pour avoir survécu, me demande si j’ai des réclamations concernant le traitement dont j’ai fait l’objet, et dit que si des objets  personnels  ont été pris, ils me seront rendus. Il mentionne qu’avant la guerre, il visitait  régulièrement l’Angleterre et avait apprécié la saison Shakespeare à Stratford l’été précédent. IL me dit « good bye » et suggère d’aller prendre un repas dans la maison.

 Une douzaine d’hommes sont  assis à une table éclairée par une paire de lampes à huile, mais je n’ai pas faim. Je suis en train de boire une bière lorsqu’une forte explosion secoue la maison qui est survolée par  un avion passant très bas. Nous  plongeons,  et quelques débris tombent autour de nous. Quand nous nous relevons,  mon escorte décide de bouger.
Nous suivons un petit chemin jusqu’à la rivière où se trouvent bon nombre des bateaux en caoutchouc qui font traverser des troupes. . Nous sommes sur la rive lorsqu’ un traceur apparait à quelques cent mètres au-dessus de la rivière. Un projecteur mobile s’allume et éclaire un Blenheim.  Une mitrailleuse servie par deux hommes ouvre le feu, et des balles traceuses croisent l’avion qui continue à voler  Nous montons dans un des bateaux qui, à la rame, nous mène de l’autre côté. Nous marchons  un moment jusqu’à une ferme, le long d’un route encombrée de véhicules arrêtés. Je suis transféré et emmené vers un bâtiment plein de soldats français. A ce moment il est minuit : sur de la paille, la tête étourdie, coupures et contusions oubliées, je m’endors.

 Ainsi se termine le jour où   la RAF subit ses plus grosses pertes de la guerre ;  40 des 71 bombardiers expédiés descendus. Et pour quel résultat ? Tristement, très peu. Deux ponts de bateaux détruits, deux endommagés avec très peu d’effets sur l’avance allemande. Sur les 40 équipages perdus, 17 membres ont pu revenir à travers les lignes ennemies, les 103 autres étant pour la plupart morts, un petit nombre prisonniers.

 Le matin suivant, à la ferme, je retrouve Reg (son cou roussi pansé) et  Bish Smalley .

 

La suite est une autre histoire : voyage par camion à travers les Ardennes avec un arrêt la nuit dans une église, quelques jours dans un entrepôt à Libramont en Belgique avec un traitement plus dur au fur et à mesure que nous nous éloignons du front,  voyage de deux jours en camion à charbon vers le Stalag IV B Muhlesburg, puis au Dulag Luft, Limburg, Lamsdorf, Barth, Sagan, Hydekrug, Thorn, Falling bostal, la Marche. Enfin, évasion de la Marche et arrivée à Blighty le 23 Avril 1945.